La maison Harrington ? Mmh...Bizarre, cet endroit. Enfin, spécial, plutôt. C'était une immense demeure qui avait été faite construite par les parents mêmes des Bourgeois qui habitaient dans cette ville. Les miens y compris ? Je ne savais pas trop, et, si c'était le cas, j'en aurais été bien étonné. Le bâtiment était à la fois beau et moderne. Oui, car pour moi, le moderne est...Moche. Je préfère le style Victorien. C'est plus classe, et les couleurs restaient aussi simples que recherchées, des tons doux et pastels, tournant dans le marron et le jaune. En fait, mon ancienne maison était comme ça, recouverte de tapisseries minutieusement colorées de beige nuancés. J'aime ces couleurs. Le toit du bâtiment qui se dressait au milieu d'un gigantesque terrain de plusieurs hectares était bleu. Mais, pas un bleu trop tape-à-l'oeil, une couleur plutôt terne, soft, penchant vers le gris foncé. Les tuiles n'étaient quasiment pas sales vues de là où j'étais, comme si les femmes de ménage allaient jusqu'à laver le toit. Le crépis était blanc, ou gris peut être, difficile à dire d'ici. Et, les murs étaient parfois recouverts de grilles en fer forgé sur lesquelles pendaient de magnifiques lierres à fleurs. Il y avait un parking, ici, bien évidemment. J'aurais été étonné de ne pas voir de nombreuses limousines s'y garer. Moi même j'y étais conduit, par Alfred, mon majordome. Je ne savais pas encore grand chose de ces lieux, car je n'y allais pas souvent. Malgré le fait que l'endroit se situait dans la ville, légèrement aux abords, je l'admets, l'air y était frais et pur, agréable à respirer. Peut être était-ce dû à ces grands arbres qui peuplaient le terrain, et même à ce petit bois de feuillus mêlés aux conifères, siégeant à même les terres Bourgeoises. C'était beau. Et calme, aussi. Pas entièrement, puisqu'on entendait le discret chant des oiseaux d'ici. Mais ça n'avait rien de gênant, au contraire. Le ciel était bleu, aujourd'hui, parsemé de quelques nuages plus blancs que le blanc lui-même, où brillait un soleil enjoué. Mais, j'allais peut être encore m'ennuyer. Qu'avais-je à faire d'autre que peindre des toiles abstraites ? Je ne connaissais pas beaucoup de monde ici. Juste une bande d'"amis" pendus à mon argent. M'enfin, c'était déjà ça.
Je marchais d'un air déterminé, décidé à rentrer dans la maison Harrington et de rejoindre un atelier improvisé : c'était simplement une pièce restée vide, en fait. D'ailleurs, cet endroit avait un nom qui me paraissait Britannique, et ça me plaisait assez. Ça me rappelait mon ancienne vie, en Angleterre. Pourtant, ça n'avait pas été si plaisant. Ce fut même invivable. Le chemin qui menait à la grande porte d'entrée soutenue par une armature dorée était fait de petits graviers blancs et beiges. Sur les côtés, il y avait des rosiers de différentes couleurs. C'était très bien entretenu. Pas très loin de moi, un groupe de filles marchait. Des bourgeoises, quoi d'autre ? Elles avançaient tout en jacassant entre elles comme des pies. Mais, on ne pouvait leur en vouloir, c'était ça, des filles, après tout. Je me demandais si ça leur arrivait de se taire. Une jeune fille brune, trop occupée à bavarder de sujets trop peu intéressants, dû rater une foulée car elle trébucha. Son sac à main se renversa. Je passai une main fatiguée dans mes cheveux blonds épi de blé, et rajusta mes lunettes de soleil dissimulant mes yeux verts. J'hâtai le pas vers elle, et, doucement, je saisis son bras, l'aidant à se relever. Elle ne voyait pas mon regard, mais il était posé sur son visage encadré de cheveux bruns. Je ris intérieurement. La bourgeoise resta un instant sans broncher, un air béa sur la face.

- Merci bien jeune homme.

La jeune fille avait parlé, et ces paroles ne furent que trop attendues. En guise de réponse, je lui décochai un de mes magnifiques sourires et continuai ma route sans accorder plus d'attention à cette personne. C'était bien moi, ça. Mon allure était celle que j'avais toujours, me tenant droit et fier quoiqu'il arrivait. De toute façon, je n'avais que faire du regard des autres. J'étais vêtu comme à mon habitude, une chemise simple blanche à col ouvert, et un jean normal. Comme tous ceux qui étaient ici, on me connaissait simplement pour ma richesse. Il était étrange, le monde des Bourgeois. Bourré de complots et de choses incompréhensibles, surtout. J'ouvris la porte du grand salon où de nombreux groupes prenaient le thé ensemble en discutant, souvent de manière joyeuse. Je retirai mes lunettes, dévoilant mes iris d'une douce couleur verte. Je montai des escaliers de marbre blanc quatre à quatre, et pénétrait dans ma petite pièce personnelle, une sorte d'atelier. Je savais que personne ne venait ici, de toute façon. Mes yeux détaillèrent un instant l'endroit. Personne n'était venu apparemment. Par contre, quelqu'un avait bougé. Shil n'était plus là. Oui, c'était un chat, Shil. Alfred l'avait trouvé...Quelque part, je ne sais plus où. Dans une déchetterie ou quelque chose comme ça. Depuis, je le gardais avec moi. Il était sage, d'habitude. Sauf que là, je l'avais oublié et il avait du en avoir marre, alors je n'avais qu'à m'en prendre à moi-même. Je redescendis les marches que j'avais montées, et entrepris de vite retrouver le petit félin noir aux yeux...Verts, ou gris ? Je ne savais pas. Dans le salon, il y avait un groupe en plus, celui de la fille que j'avais aidée à se relever un instant plus tôt. Elle était assise sur un sofa de cuir, en face de son thé et de quelques biscuits amenés par une bonne. Je fis suffisamment de pas vers la bourgeoise pour être près d'elle et de ses amies, et ouvrit la bouche.

- Pardonnez-moi de vous déranger, mais auriez-vous vu par hasard un chat noir passer ici ?

"Un chat noir", c'était étrange à dire, et j'espérais qu'elles ne penseraient pas que je me moquais d'elles. Je me décontractai et leur lançai un petit sourire, attendant qu'elles me répondent.

- Hum...J'en ai vu un, il se dirigeait en direction de la forêt, à ce moment là je l'ai perdu de vue.

La forêt ? Quel poids...Je n'avais tout bonnement pas envie d'aller le chercher. Et puis, ce sont des bêtes intelligentes. Shil devait avoir conscience que je l'avais recueilli et nourri dans ma demeure, il saura où rentrer je suppose. Ce n'était même pas moi qui lui avait donné ce nom, c'était Alfred. Il m'avait parlé de Gaélique je crois, ou quelque chose comme ça...Enfin, ce n'était pas super important non plus. Je me souvenais du jour où nous l'avions trouvé, je m'en rappelais bien car j'étais heureux de pouvoir avoir un chat. J'adorais les félins. Et, en Angleterre, ma mère y était allergique, ce fut désolant. Mes pensées se dirigèrent instinctivement vers mon ancienne vie, à Londres. Mon passé écoula ses méandres gris vers un instant bien précis. Le sol y était bien vert, l'herbe semblait y pousser avec abondance. Le tapis de verdure était quadrillé par de nombreux chemins de graviers d'un blanc pur, crissant sous les pas. Le fourrage gras était aussi troué par des croix de granites. Elles s'élevaient sinistrement vers le ciel sans pouvoir l'atteindre, et dans nos coeurs qui ne savaient quelle impression adopter. Nous étions perturbés,et malgré le fait que je n'étais pas triste, la joie était admirablement étouffée. C'était gênant. Et même si nous aurions voulu rire, les tombes à l'allure sobre auraient transpercé notre légèreté de l'instant. C'était un cimetière. C'est un endroit calme, et pourtant, tant et tant de murmures s'y élevaient. Des silhouettes toutes vêtues de noir se déplaçaient sur les sillons de petits cailloux, elles marchaient. Non, elles glissaient presque sur le sol, on aurait dit qu'elles avaient peur de faire le moindre bruit qui attirerait tous les regards mélancoliques et courroucés, alors elle baisserait la tête avec honte. Ce jour, j'étais placé totalement à l'égard du groupe qui pleurnichait en silence. Si j'avais pu dessiner leurs sentiments, j'aurais peint un immense nuage grisonnant au dessus de leurs têtes, mais, percé par quelques rayons de soleil pointé sur des faces aux sourires antipathiques, on y aurait vu des choses à ne pas voir. Et, les hypocrites qui se frottaient les mains discrètement jetaient leurs regards malsains vers moi, mauvais yeux qui disaient inconsciemment "Il n'en reste plus qu'un !". Cette journée surplombée d'un magnifique soleil avait été spéciale pour moi. Ce fut l'enterrement de ma soeur. Si je pus encore l'appeler ainsi.
Je clignai soudainement des yeux, réalisant que j'étais en face d'une jeune fille qui me regardait d'un oeil interrogateur. Je lui décochai un autre de mes magnifiques sourires que j'avais l'habitude de lancer aux filles pour les décontracter. Enfin, la plupart du temps, elles baissaient la tête en rougissant, alors je ne sais pas si ça les déstressait vraiment...Et puis, c'était mon caractère, je ne pouvais pas m'empêcher de sourire de cette façon si rayonnante. J'ai déjà entendu des gens dire que j'étais quelqu'un de "rafraîchissant". Ça m'avait semblé vraiment étrange sur le coup, puis j'ai vu qu'ils avaient l'air sincères et qu'ils parlaient de moi comme étant quelqu'un de serviable, d'amical, et de joyeux. Ils ont ensuite dit qu'ils ne pouvaient s'empêcher de sourire quand ils étaient avec moi. Quelque part, ça me faisait plaisir. Être apprécié tout en restant simple. Cela ne servait à rien de vouloir s'élever à un rang supérieur. Je passai ma main dans mes mèches blondes épi de blé. Oui, c'était surement une sorte de tic. Je m'approchai un peu plus de la demoiselle, et sans imaginer sa réaction, je me laissai tomber dans le sofa, à côté d'elle. J'observai du coin de l'oeil ses amies Bourgeoises qui, me semblait-il, se mirent à battre langoureusement de leurs cils tartinés de mascara. La jeune fille assise à côté de moi m'observai. Je lui rendis son expression étonnée par un petit sourire innocent.

- Cela vous dérangerait-il d'aller le chercher avec moi ? Au fait, je ne vous ai pas demandé votre nom, veuillez m'excuser.

Elle ouvrit soudainement la bouche pour dire qu'elle chose, mais ses mots ne sortirent pas tout de suite. Le coin de mes lèvres fines restait relevé avec patience, et mon regard jusqu'alors doux attira une pointe de malice. Les autres filles assises avec elle se rapprochèrent les unes des autres en lançant quelques murmures qui se voulaient être discrets. J'appuyai ma tête sur ma main, et patiemment, attendit une réponse de sa part.